Vieille connaissance du Centre d’art contemporain, Paolo Colombo illumine le quatrième étage de son art raffiné tout en points ou imitations de tesselles.
Si le Centre d’art contemporain de Genève est né en 1974, c’est en 1990 qu’il s’est établi dans le BAC, Bâtiment d’art contemporain, ancienne usine de la Société d’instruments de physique. Une aventure qui a débuté avec Paolo Colombo, directeur des lieux jusqu’au tournant des années 2000; et qui se terminera, du moins temporairement, avec cette même personnalité de l’art, le 2 mars prochain, pour une rénovation de plusieurs années. Entre hier et aujourd’hui, l’Italien né en 1949 aura changé de statut: il est cette fois invité en tant qu’artiste et présente «La Deuxième fois».
En signifiant une répétition, le titre de l’exposition ne se réfère pas tant aux années de direction qu’à une première exposition de Colombo, invité en 1978 déjà par la fondatrice du Centre d’art contemporain, Adelina von Fürstenberg, alors que l’institution était au 6, rue Plantamour. Car l’activité de direction n’était qu’un (long) intermède entre deux périodes de création artistique, nous expliquait l’affable septuagénaire juste avant le vernissage de son exposition, fin octobre.
Souffler sur les mots
Voix douce, complet de velours côtelé bleu avec cravate rayée, Paolo Colombo prend le temps de détailler les pièces, accrochées en progression plus ou moins chronologique. «Je suis autodidacte», précise-t-il, pointant ses premières oeuvres faites de milliers de points sur des feuilles de papier, «qui représentent le brouillard magmatique» – peut-être celui de Turin, où l’artiste-curateur est né. Dans certaines oeuvres, des mots se dessinent dans la brume: «C’est comme si les lettres étaient tracées dans le sable. On pourrait souffler» – ce qu’il fait, contre la vitre de protection – «et les mots s’effaceraient».
Dans les oeuvres les plus grandes, Paolo Colombo pense avoir atteint le million de points inscrits. «Faire des points, tailler le crayon, faire d’autres points… Cela m’a pris des heures, parfois des semaines.» Il passe ensuite à la ligne, «puis à l’équivalent du point dans l’art byzantin: les tesselles des mosaïques». Il met sa pratique en pause dès la naissance d’un fils, se lançant dans un travail de curation qui le mènera, au-delà de Genève, au MAXXI de Rome ou à Istanbul Modern, et à la tête des biennales d’Istanbul et de Thessalonique.
On s’arrête devant une grande aquarelle Untitled en quatre rectangles composés de petits carrés. Elle a deux dates, 1979 et 2007, et raconte l’interruption puis la reprise de l’activité artistique. Sans aucun problème: «C’est comme si j’avais arrêté dix minutes auparavant.» Paolo Colombo se met à estimer en italien combien de carrés contient la pièce, arrivant à plus de 60 000. «J’ai toujours voulu que le temps d’exécution de l’oeuvre soit rendu visible.» Raison pour laquelle il n’a jamais souhaité s’entourer d’assistant·es qui exécuteraient le travail, à part pour trois réalisations brodées et un grand tapis au centre de l’espace principal, produits via Iterarte, galerie itinérante qui met en contact artistes et artisans, dans ce cas basés en Inde. Est-ce que son travail de curateur a influencé sa seconde carrière artistique? «Oui, j’ai tout appris dans ce laps de temps, notamment sur la nécessité de placer la barre très haut.»
Dans les oeuvres de la seconde période, il y a par exemple des aquarelles, «longuement pensées», alors que cette technique donne plutôt lieu à des oeuvres vite exécutées, souligne-t-il. L’une d’elles dit «Wax, Wane, Ebb, Neap», référence aux phases de la lune que Paolo Colombo lit lentement, prenant plaisir à formuler chaque mot. Plusieurs autres pièces comportent des parties de visage en mosaïque de style byzantin, «des
copies plus ou moins correctes selon les oeuvres, parfois inventées», présentées sur du tulle finement peint, qu’on retrouve dans plusieurs autres oeuvres.
Poèmes en pierres
Dans le couloir, les mots de deux de ses poèmes s’imposent en grand sur quatre feuilles peintes à l’aquarelle – des pièces de 2021. En face, une vitrine présente des poésies des années 1977-1978, écrites là aussi avec des points, mais spéciaux quant à eux: ce sont ceux de l’écriture en braille. Avec tasse à café, paquet de cigarettes Papastratos ou «poésies en deux, trois lignes que je mettais dans ces paquets», une autre vitrine met en avant ses liens à la culture grecque, lui qui s’est installé à Athènes à la fin des années 2000 – c’est là qu’il a repris son activité artistique. Il adore la musique grecque, explique-t-il, désignant un 45 tours de Giannis Papaioannou de 1970 et une aquarelle représentant Vassilis Tsitsanis et son bouzouki, réalisée cette année. Sur fond de tulle, là aussi.
Tous les murs ont été repeints pour l’occasion, avec des couleurs dictées par l’artiste. Pour cause de sol évoquant le passé manufacturier du bâtiment, «j’ai exprès choisi des tons dominants. Je ne voulais pas simplement montrer des oeuvres mais présenter un monde.» En complément, sept courts métrages – le plus long dure 104 secondes – sont à voir dans le cinéma Dynamo, au même étage. Réalisés l’an dernier, «ils sont faits avec la plus grande économie de moyens possible», dans son atelier, qui est essentiellement composé d’une table. La plupart des histoires sont racontées avec des cailloux pour évoquer une comptine grecque olé olé, ou tel enjeu de Macbeth et Hamlet. Etre ou ne pas être un artiste, telle n’est plus la question.